Short Design Fiction — Épisode #6

Série “Histoires courtes où l’humain a merdé”

Meven
4 min readMar 28, 2019
© Photomontage : Meven Royo

Hôpitaux sud. Mois de mars. Dans une salle d’attente du service pédiatrique attend une femme. Assise au milieu d’autres femmes, qui elles aussi attendent, l’expression de son visage trahit un certain niveau de stress. Elle se ronge désormais les ongles et tapote ses pieds l’un contre l’autre. Elsa est une belle femme. La trentaine, de longs cheveux bruns, un sens aigu de la mode… elle a toujours su garder son sang froid mais aujourd’hui, c’est différent.

Pour la dixième fois en seulement trois minutes, elle replace sa longue mèche de cheveux derrière son oreille droite. Un signe que son mari, Yuri, apprit vite à reconnaitre pour détecter l’état agité de sa compagne. Après avoir replacé nerveusement sa mèche, Elsa laisse sa main redescendre doucement, se caressant par la même occasion le pourtour de son oreille, puis son lobe puis délicatement le côté externe de son cou… Ce geste tendre est une façon de se consoler elle-même. Le regard fixe et l’air songeur, elle se met à penser, à réfléchir, que ce moment angoissant n’était que le fruit d’un heureux événement. Il y a deux mois, elle donnait naissance à Jade. Après six ans de tentatives veines, ce bébé était un miracle à tous les niveaux. Cette pensée la fit sourire. Zéro malformation, une naissance à terme, aucun problème nerveux… la petite Jade fait partie de ces 0,001% des naissances qui ont lieu sans aucune complication à travers le monde. Tout en réalisant sa chance et son bonheur, les doigts d’Elsa toujours en train de lentement glisser sur sa peau s’arrêtent subitement sur une boursouflure. Une irrégularité longue de plusieurs centimètres courant le long de sa gorge. Au toucher de sa cicatrice, la femme se ressaisit et se dit qu’il n’y avait pas de quoi être heureux : une épée de Damoclès était toujours suspendue au-dessus de sa fille, et par extension de sa famille entière.

Jade, comme tous les nouveaux-nés, doit subir une opération lourde. Une opération qui n’est pas encore tout à fait maitrisée chez les nourrissons mais qui leur garantit un taux de survie bien plus élevé par rapport à ceux qui ne la font pas (ou qui n’en ont tout simplement pas les moyens). Les dernières statistiques indiquent qu’un enfant opéré a cinquante fois plus de chances de passer le cap des dix ans qu’un non-opéré.

“C’est bon, l’opération est finie. Elle est en bonne santé”. Elsa relève la tête pour s’apercevoir qu’une infirmière vient de rentrer dans la salle d’attente et que ces mots lui sont destinés. Elle éclate en sanglots.

“Merci infiniment pour votre travail. Moi et mon mari étions tellement inquiets. Merci, merci, merci et encore merci de sauver des vies !
- Mais de rien Madame, c’est notre métier ! Vous ne pouvez pas imaginer à quel point nous sommes heureux et satisfaits qu’une opération se déroule correctement.
- Et au niveau de la convalescence ? La cicatrisation ?
- Alors… le filtre est bien positionné, elle aura une cicatrice qui se verra à peine. Rien à voir, par exemple, avec la vôtre. Il faut dire que l’on maitrise de plus en plus le procédé et ces nouveaux filtres bio-organiques sont nettement plus petits et faciles à manipuler.
- Je suis tellement soulagée ! Elle va enfin pouvoir sortir dehors avec nous et respirer sans qu’on s’inquiète de la toxicité de l’air.
- C’est bien là tout l’objectif Madame ! Je vous laisse m’accompagner ? Le chirurgien en profitera aussi pour vous donner l’ordonnance des différents médicaments pendant la cicatrisation ainsi que les diverses précautions à prendre au début pour que le filtre s’active correctement…”

Les deux femmes continuent de discuter en s’éloignant de la salle d’attente. Pas plus de cinq minutes après leur départ, une autre infirmière fait son apparition. Elle échange quelques mots avec l’une des autres femmes qui attendaient. Cette dernière s’effondre tout en pleurant et hurlant. L’opération n’a pas marché, son fils vient de décéder. Au bout du couloir, les plaintes déchirantes de cette mère arrivent à peine aux oreilles du personnel. Il faut dire que le système de filtration intérieure pour les non-opérés fait un boucan d’enfer.

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