L’augmentation du carburant avait soulevé le débat, les trottinettes électriques jouent dessus, et Elon Musk veut la révolutionner avec son Hyperloop. Je parle bien sûr de la mobilité, et plus particulièrement de la mobilité urbaine.
Bouger toujours plus, toujours plus vite, toujours plus loin.
L’un des enjeux principaux de la “smart city” s’articule autour de la mobilité urbaine. Il faut que tout le monde puisse se déplacer facilement, que les flux soient gérés correctement, et que chacun puisse profiter du territoire, etc. Si les transports en commun continuent de croître, l’axe de développement majeur de la mobilité repose sur son caractère multi-modal. Les parking-relais en périphérie des villes en sont un bon exemple. Se déplacer d’un point A à un point B n’est plus le fait d’un seul moyen de transport mais le fruit d’une succession de plusieurs moyens : je prends ma voiture pour aller à la gare, je prends mon TER / RER, j’arrive au centre de la métropole, je prend un métro, et je finis ma course avec une trottinette en libre-service. Le parcours est un peu exagéré, soit, mais ça permet de visualiser la tendance actuelle. En parlant de tendance, il y en a une qui ne vous a pas échappée et qui rentre dans cette ubérisation du monde dans lequel nous vivons : les moyens de transport individuels en libre-service. Alors comme ça va être un chouya long de le répéter à chaque fois, je vous propose l’acronyme MTILS.
Le problème des MTILS.
Avant de rentrer dans le cœur du problème de la mobilité urbaine (et de ce que cela sous-tend), mettons un peu les choses au clair avec les MTILS et la catastrophe qu’ils représentent. Car au premier abord vous pourriez me dire que c’est génial, que c’est ça le futur, qu’avant on ne pouvait pas se déplacer aussi facilement, etc, etc. Analysons juste l’exemple des trottinettes électriques et de ce qu’elles représentent :
1 — Le greenwashing fonctionne bien.
Car oui, électrique = pas de rejets de gaz = forcément écolo. Alors oui, la réflexion pourrait (à la limite) être valable, si les personnes qui conduisent, arrêtaient d’utiliser leur voiture pour utiliser les trottinettes. Mais qui utilisent les trottinettes principalement : les jeunes. Ont-ils tous des voitures ? Non. On ajoute ainsi un moyen de transport carboné qui est loin, très loin d’être écologique : batteries au lithium, durée de vie de 28 jours, “juicers” qui tournent toute la nuit en camionnette, pollution numérique due au service digital en ligne… Mais bon ça fait cool, et quelque part ça doit donner l’impression à certains d’être écolo. Personnellement ça me fait grincer des dents quand je vois des jeunes manifester pour le climat et utiliser de tels services derrière. Pessimiste ? Je vous laisse regarder ce que ça donne en Chine rien que sur des vélos normaux (sans batterie) qui fait partie des autres MTILS auxquels on peut ajouter aussi les scooters hein.
2 — Individualisme exacerbé et manque de respect en société.
Là où les MTILS font encore mieux que de détruire directement la planète et ses ressources, c’est qu’ils renforcent l’individualisme des personnes et des comportements de pollution. Les MTILS attirent et plaisent, car ils sont à usage personnel. Ils nous donnent l’illusion de les posséder (moyennant une petite somme), et on peut les avoir quasiment quand on veut et où on veut. Soit le principe de l’ubérisation. Bonjour la mégalomanie ! Et quand on en a plus besoin on les laisse. Là. Dans la rue. D’ailleurs, rien à foutre des passants quand je roule, ni quand je pose ma trottinette. Je la laisse simplement sur le trottoir et instantanément ce n’est plus mon affaire. J’ai ainsi transféré ma responsabilité à l’entreprise. Je me déleste de toute forme de culpabilité et je peux continuer ma vie tranquillement : ce n’est plus mon problème. Et c’est bien là le hic de ces nouveaux services ubérisés : l’externalisation de la responsabilité*. Comme d’ailleurs le fait que ce soient des gens de classes populaires qui passent leurs nuits à tourner dans les villes pour recharger les trottinettes que j’utiliserai le lendemain (le tout pour un salaire qui sera de plus en plus bas). Précarisation du travail ? Esclavagisme moderne ? Non, non juste un service de trottinettes.
Je vous laisse regarder l’excellente conférence d’Alan Cooper qui aborde ce concept dans sa proposition de Good Ancestor Design.
3 — Les marques au-dessus des lois ?
Un autre signal fort qu’envoient les MTILS repose sur le fait que dans certains cas, ils ne demandent même pas l’avis des villes. Comme par magie, ils se donnent l’autorisation de passer au-dessus des lois ou encore des avis des citoyens. À quel moment nous a-t-on consulté avant d’envahir les trottoirs ? L’avis des autres, au final, on s’en fout. Le but c’est de faire de l’argent, encore et toujours. Alors heureusement les villes réagissent et commencent à cadrer juridiquement les MTILS, mais la technique d’approche reste sauvage et violente (comme Uber). On pose des milliers de trottinettes en une nuit, et voilà le service a débarqué dans votre ville. Les marques vont-elles aller de plus en plus loin dans l’imposition de leur propre cadence aux États ?
Contracter l’espace pour gagner du temps.
Derrière les nombreuses critiques que l’on peut faire et qui touchent directement à l’environnement et la vie en société, se cache un truc encore plus vicieux. Car si on réfléchit un peu, pourquoi n’arrêtons-nous pas de développer la mobilité ? Pourquoi multiplions-nous les moyens de transport ? Pourquoi doit-on toujours aller plus loin ? Quand on pose la question aux personnes la réponse est la suivante : gagner du temps. Le voilà l’argument principal de la mobilité. Et le temps, ça, c’est un truc qui nous obsède, nous les humains. On veut toujours aller plus vite. Mais pour faire quoi ? Pour faire plus ? Voilà le piège de cette mobilité qui s’accélère. Sous couvert de progrès, on contracte toujours plus cet espace qui nous entoure afin d’augmenter artificiellement le temps de nos journées. Internet l’a déjà fait de manière spectaculaire, mais pour faire quoi ? Remplir toujours plus nos journées, allez plus vite, être plus rentable, faire plus de choses sur lesquelles on pourra se vanter sur les réseaux sociaux, “vivre plus”... ? À l’heure où l’on parle de génération burn-out, je ne crois pas que les MTILS soient la solution. Ils vont bien au contraire aggraver le problème. Nous avons besoin de temps. De temps d’ennui, de repos, de rien. Le rien c’est ce qui permet au plein d’émerger. Pour qu’il y ai de l’action, il faut de l’inaction. Nous ne pouvons être tout le temps dans des phases de production, sinon nous serions des machines. Et c’est peut-être ça le fantasme de certains. Pas le mien. Alors ré-apprenons à vivre de manière plus calme, à un rythme moins effréné, et plus naturel. Nous sommes quand même le résultat de millions d’années d’évolution et notre biologie adopte un cycle circadien basé sur le soleil. Rien que ça nous ne le respectons plus.
Dans une société en excès de tout, la recherche du bonheur est devenue elle aussi une course acharnée. Mais pour être heureux, il faut avoir du vide en soi, un vide qui permet justement d’accueillir le bonheur et la joie. Imaginez que vous ayez mangé une quantité incroyable de nourriture en l’espace d’un court laps de temps. À tel point, que la moindre bouchée supplémentaire vous fera à coup sûr vomir. Seulement, au milieu de l’énorme buffet devant lequel vous êtes assis, se trouve le meilleur aliment du monde. Vous ne l’aviez pas vu jusque-là car il était caché par toute cette profusion de nourriture. Mais vous ne pouvez pas le manger, car vous n’avez plus la place dans votre estomac. Vous attendriez bien quelques heures de digestion pour pouvoir le savourer, mais il est trop tard, le buffet va être renouveler d’ici trois, deux…
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